Depuis 1959, Adidas est implantée en Alsace. J’ai pu rencontrer Werner Alwin, 82 ans aujourd’hui. Il est l’un des créateurs de la mythique Stan Smith, imaginée dans les années 60 à Dettwiller. Il a pu me raconter l’histoire de la marque aux trois bandes, son implantation et son développement dans la région.
Au départ, une entreprise familiale née en Bavière
Pour bien démarrer la lecture de cet article, quelques petits rappels historiques.
Depuis les années 20, la famille Dassler fabrique des chaussures en Bavière. En 1949, Adolf – dit « Adi » – Dassler, fonde Adidas. Le nom vient donc de la première syllabe de son patronyme : Adi-Das.
Pour l’anecdote, Adolf Dassler avait un frère, Rudolf, qui fonda la marque Ruda un an plus tôt. Ruda deviendra plus tard Puma. Les sociétés des deux frères rivaux installeront d’ailleurs toutes les deux leurs sièges français en Alsace (nous y reviendrons plus tard).
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Adidas compte 47 employés. La Marque aux Trois Bandes est avant tout spécialisée dans l’équipement de chaussures, pour sportifs professionnels et notamment dans le football.
Grâce à Adidas, l’Allemagne décroche sa 1ère Coupe du Monde de Foot
La renommée de la marque fut assurée en 1954, lors de la finale de la coupe du monde de foot, à Berne. À l’époque, l’Allemagne de l’Ouest joue face à la Hongrie, invaincue depuis 31 matchs et donc largement favorite.
Mais l’Allemagne crée la surprise : ses joueurs sont équipés de chaussures à crampons à vis, interchangeables et adaptables, ce qui leur donne une meilleure stabilité face aux crampons classiques. Cette innovation technique permet à l’Allemagne de décrocher sa première étoile, dans un championnat mondial, plaçant ainsi Adidas sous le feu des projecteurs.
Le développement en Alsace, tremplin vers l’international
La marque se développe et cherche à s’installer outre-Rhin.
À la fin des années 50, elle s’installe en Alsace, dans le village de Dettwiller, à l’époque « capitale de la chaussure ». Le village regorge d’une force de travail, mais aussi d’un savoir-faire et d’une position géographique privilégiée (sur les grands axes Paris-Strasbourg, par voie fluviale, fer et route).
En tout et pour tout, 19 usines de chaussures s’y sont développées au XXè siècle.
Deux marques sont encore en activité dans le village : Heschung (chaussures haut-de-gamme, avec aujourd’hui des points de vente à Paris, New-York, Tokyo) et Adidas (entrepôt dédié à l’export).
Le siège administratif d’Adidas France s’installe en 1973 à Landersheim. En avril 2018, il est déplacé de quelques kilomètres, dans le nouveau quartier d’affaires « Archipel », au pied du Parlement Européen.
Puma, le grand rival d’Adidas, est lui aussi présent en Alsace, à Illkirch-Graffenstaden et devrait également déménager au Wacken en 2020, à quelques mètres d’Adidas …
La marque fête d’ailleurs ses 70 ans cette année et a prévu d’investir les bains municipaux de Strasbourg, le temps d’une soirée.
Werner Alwin, parmi les pionniers d’Adidas en France
C’est lorsqu’Adidas souhaite s’implanter en France, qu’intervient Werner Alwin, que j’ai pu rencontrer. L’équipementier le charge du recrutement et de la responsabilité de la 1ère usine de Dettwiller.
Au fil des années, Adidas poursuit sa croissance et en tout, ce sont 5 usines et 1 entrepôt, qui ouvriront dans ce village de 2500 habitants. Une dizaine d’autres usines indépendantes font battre le cœur de cette « cité de la chaussure », qui employa jusqu’à 900 ouvriers, au plus fort de son activité.
Werner me raconte que lorsqu’il est arrivé « dans la 1ère fabrique Adidas de Dettwiller [située à côté de la Gare SNCF], il n’y a alors qu’une petite cinquantaine d’ouvriers dans l’usine et seulement 3 personnes qui travaillent au bureau ». Il s’est chargé de recruter tous les ouvriers sur le site, avant d’ouvrir une usine à La Walck (Alsace du Nord), puis 2 autres usines à Dettwiller, dans les années 60.
En 1965, il développe le premier modèle de la Stan Smith
C’est justement dans les années 60, qu’à Dettwiller va naître une paire de chaussures qui deviendra ensuite mythique.
Sous l’impulsion d’Horst Dassler (le fils d’Adi Dassler), Adidas France prend un virage majeur par rapport à la maison mère et commence à se diversifier.
À l’époque, m’explique Werner : « on nous [un petit groupe de réflexion, ndlr] demande de fabriquer des chaussures de tennis en cuir. Jusqu’à présent, elles sont en tissu, mais le tissu se salit et s’use vite. »
Werner me raconte aussi qu’Adidas « souhaite une chaussure sans les trois bandes ». Il a alors l’idée de mettre 3 rangées de trous d’aération à la place. La Stan Smith est (presque) née !
Presque, parce qu’en 1965, la Stan Smith s’appelle alors la Chaussure de Tennis Robert Haillet, du nom du joueur de tennis français. D’ailleurs, Robert Haillet est devenu Directeur Commercial de la marque, en 1964.
C’est seulement en 1978 que la paire prend le nom de Stan Smith, tennismen vainqueur de l’US Open en 1971 et avec qui Adidas signe un contrat en 1973. Adidas souhaitait s’emparer du marché Nord-Americain et c’est un succès : les ventes explosent et pour la première fois, une chaussure de sport est portée en dehors des courts de tennis.
Dans les années 80, elle devient – avec la Superstar – le symbole de la street culture, et est très tendance.
En 1990, la paire est vendue à 22 millions d’exemplaires et entre dans le Guinness des records. Aujourd’hui, la paire s’est écoulée à plus de 70 millions d’exemplaires.
Les années 90 sonnent le glas, de la production en Alsace
En 1987, Horst Dassler décède brutalement, à 52 ans. La marque commence à vaciller, accusant des pertes colossales et est vendue à Bernard Tapie. Le déclin est ensuite brutal et, entre 1992 et 1994, les sites de Dettwiller, La Walck et Landersheim sont délocalisés en Asie, mettant près de 2000 personnes au chômage. Seul le siège administratif reste à Landersheim, ainsi qu’un entrepôt à Dettwiller.
De cette crise industrielle, une entreprise a pu survivre : Heschung, positionnée sur le haut-de-gamme.
Un musée, pour faire vivre cette mémoire
Des chaussures, raquettes, sacs ou ballons de foot, il reste aujourd’hui les machines, entreposées dans les anciennes usines. Mais peu à peu, ces usines sont vidées et reconverties en logements.
Quelques passionnés et salariés retraités, qui sont la mémoire vivante d’Adidas, font aujourd’hui revivre ce passé : depuis 2015, est ouverte la Maison du Patrimoine et de la Chaussure, un véritable musée expliquant l’histoire d’Adidas et de la chaussure en Alsace. C’est aussi l’occasion de rencontrer ces anciens salariés, leurs machines et de découvrir les produits qu’ils ont pu confectionner.
C’est enfin l’opportunité de comprendre et de transmettre toute la richesse de ce patrimoine industriel, qui influence encore aujourd’hui la culture populaire et qui a été inventé puis fabriqué ici, à quelques kilomètres de chez nous.
La Maison du Patrimoine et de la Chaussure
Grand merci aux bénévoles et passionnés du Club Patrimoine de Dettwiller, avec qui j’ai pu discuter et glaner toutes ces informations me permettant aujourd’hui de partager cet article avec vous.
Le Club entrepose machines historiques et objets telles que des chaussures, ballons de foot, skis, raquettes … fabriqués à l’époque dans ces usines et les présente au grand public, dans la Maison du Patrimoine et de la Chaussure, rue du Moulin à Dettwiller
Le Club a édité un livre en 2 tomes, qui raconte l’histoire de la cité, avec un focus dans le tome II, sur l’industrie de la chaussure et sur Adidas.
La Maison du Patrimoine et de la Chaussure peut se visiter lors de portes ouvertes, le village est d’ailleurs facilement accessible en train, depuis Strasbourg (ligne Strasbourg – Saverne – Sarrebourg et certains trains pour Metz)
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