Et si Strasbourg avait son métro ? La question se pose, avec un réseau de tram qui sature au centre-ville en heures de pointes et quand on sait qu’un tunnel de 1400m existe sous la Gare-Centrale.
Eh bien la question s’est posée, dès les années 70 et a même été mise à l’étude, dans les années 80.
À l’époque, un projet de métro est imaginé pour conserver le transport automobile en surface. Il devait aussi garantir une plus grande vitesse commerciale et donner une image moderne à la ville. Sans vouloir trop spoiler, la suite de l’histoire est connue : le tram l’emporte et représente aujourd’hui l’un des plus importants réseaux de France.
À l’heure où démarrent les travaux de la ligne H du BHNS, de ceux des couloirs de bus sur l’A35 et qu’une 4è voie ferrée est en construction au nord de Strasbourg afin de préparer le Réseau Express Métropolitain (oui, c’est comme ça que ça va s’appeler), je souhaite revenir sur cette aventure qui a transformée notre belle ville rhénane, ouvrant la voie aux piétons et cyclistes, faisant de Strasbourg une référence en matière de tramway moderne.
Un article que j’ai choisi de diviser en deux parties, car il doit rester sympa à lire (et puis ça flatte aussi un peu les algorithmes de Google).
Dans ce premier épisode, je te raconte l’histoire de ce projet de Métro jusqu’au lancement de ses travaux préliminaires. Je t’expliquerai ensuite comment Strasbourg est passée au Tramway et comment s’imagine le réseau pour les prochaines années.
Dans l’histoire des transports en commun strasbourgeois
Pour comprendre la volonté de construire un Métro à Strasbourg, il faut connaître l’histoire des transports en commun dans la cité Rhénane et ses alentours.
Ils apparaissent à la fin du XIXè siècle. Comme de nombreuses villes européennes, un réseau urbain et interurbain se développent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. On pouvait à l’époque rejoindre Truchtersheim, Obernai ou encore la rive droite du Rhin, en tramway.
Au sortir de la Guerre, le boom économique relègue les transports en commun au deuxième rang, derrière la voiture. Les rues sont de plus en plus animées d’automobiles et le tramway voit sa fréquentation diminuer. Pire, il est vu comme un frein au développement des mobilités.
30 avril 1960, Strasbourg enterre littéralement son tramway
1960 marque la fin du tramway à Strasbourg et alentours. Ou plutôt son enterrement et son remplacement par des bus : disposant d’une plus grande capacité et coûtant moins cher à l’entretien, ils répondent à la baisse de fréquentation des transports en commun. Les lignes de tram sont donc recouvertes par du bitume, ou démontées.
Pour l’anecdote, la photo présentée juste au dessus est prise pratiquement au même endroit que celle qui se trouve ci-dessous. Sur ces rails circulait la ligne 10 du Tramway, aujourd’hui remplacée par la ligne 10 du Bus, avec le même tracé.
Du côté de nos voisins : Karlsruhe, Freiburg ou Basel décident de conserver leurs réseaux. Mulhouse et Colmar font le choix de l’arrêter (oui, Colmar avait aussi un tram).
Les années 70 remettent en cause le modèle du tout voiture
Il a fallut seulement une décennie après l’arrêt du tram, pour que le réseau routier sature et que le choc pétrolier renverse la tendance. On prend alors conscience de la dépendance à l’automobile individuelle.
C’est donc dans ce contexte qu’en 1976 la CUS (Communauté Urbaine de Strasbourg) approuve Ie principe de la construction de deux lignes de transport en commun en site propre, avec l’objectif d’offrir une plus grande capacité et rapidité qu’un bus, tout en décongestionnant le centre-ville.
Commencent alors des études qui mettront plusieurs années à être réalisées, afin de savoir quel projet peut être envisagé pour l’avenir de l’agglomération strasbourgeoise.
Le Métro : moderne, rapide et à forte capacité
Il faut savoir qu’en 1983 déjà, 3 projets sont envisagés, mais 2 restent en course : un métro-léger et un métro VAL. Tous les deux comptent traverser le centre-ville, via des tunnels.
Les avantages d’un Métro sont nombreux : à l’époque, il représente un réel bon en avant par rapport aux villes disposant d’un système de tramway, tant dans son aspect que dans son efficacité.
Il faut rappeler que dans le contextes des années 70 et 80, on souhaite faire toujours plus rapide et plus moderne : le RER parisien effectue ses trajets à 55 km/h en moyenne. Le métro, à 35 km/h et le tram est à moins de 17 km/h.
Enfin, un Métro permet d’envisager des stations plus longues et des fréquences de passage plus importantes.
Stations pensées avec une accessibilité totale : juste sous la route, avec des escaliers mécaniques et ascenseurs.
En fouillant sur le web, j’ai pu trouver cette étonnante illustration extraite d’une de ces études : elle permet de montrer l’aspect souterrain de la station Homme de Fer. Car oui, un tracé est déjà envisagé et il est très – vraiment très – proche du tracé actuel du tramway. J’y reviendrai plus tard.
Le problème avec le Métro, c’est le percement de tunnels. Ce qui lui donne un coût de construction 2 fois plus élevé qu’un tramway (rattrapé par un coût d’entretien moins élevé) et il ne règle pas la question des voitures, qui continueraient de circuler en surface. Pas forcément idéal, si l’on souhaite s’affranchir de l’automobile.
Jetons un petit œil sur ces deux projets étudiés.
Un premier projet de Métro Léger, surnommé « tramway moderne »
L’idée d’un Métro Léger est très simple : le réseau doit s’étaler en surface, mais traverser le centre-ville par un tunnel.
Un réseau 100% en surface est très vite abandonné pour 2 raisons : le projet n’assurait pas la desserte de Gare-Centrale et ne permettait pas d’augmenter significativement la vitesse commerciale des bus.
4 options souterraines en centre-ville sont envisagées. Elles démarrent toutes à Rotonde :
- Tunnel court, 1,6km entre Rotonde et les Halles, avec une station à Gare Centrale.
- Tunnel des Serruriers, 2,3km entre Rotonde et la rue de la Division Leclerc, avec 4 stations (Gare Centrale, Halles, Kléber & Gutenberg).
- Tunnel de Lattre, 3km entre Rotonde et la Place de Lattre (dite « de la Bourse »), avec 5 stations (Gare Centrale, Halles, Kléber, Gutenberg & Hôpital).
- Tunnel Étoile, 3,5km entre Rotonde et le Parc de l’Étoile, avec 4 stations (Gare Centrale, Kléber St-Nicolas & Étoile).
Le dépôt est quant à lui envisagé à Cronenbourg.
Il est intéressant de constater les très fortes similitudes avec le réseau tramway actuel et le projet de tunnel court, qui fut utilisé pour les lignes A & D.
Ce projet est d’ailleurs très largement surnommé Tramway. On le retrouve sous deux autres dénominations, comme Métro-Léger et semi-métro. Mais dès l’origine, il prévoyait des stations souterraines.
Le projet de Métro VAL : Véhicule Automatique Léger
Contrairement au Métro Léger, le Métro-VAL est entièrement automatisé et fonctionne sur un site qui lui est 100% propre, sans interférer avec la circulation.
L’objectif : permettre une vitesse commerciale plus élevée que le tram et une plus grande capacité d’usagers. En outre, un réseau souterrain permet aussi une meilleure optimisation des trajets, qui se font indépendamment des voies en surface.
Un dispositif du turfu qui a séduit en France : à Lille depuis 1983, 2 lignes traversent la ville et sont aujourd’hui complémentaires avec le tramway. En 1991, Orly inaugure OrlyVAL. Toulouse a le sien depuis 1993.
La première phase du projet VAL, consiste à relier Rotonde au Campus d’Illkirch. Longue de 10km, la ligne devait comporter 13 stations.
Elle devait se découper en 3 parties :
- Un tunnel profond de 10 à 20m, passant sous la Gare et le Centre-Ville, jusqu’au Neudorf.
- Une tranchée couverte, quelques mètres sous les rues du quartier de la Meinau, jusqu’à Colonne à Illkirch.
- Un viaduc, jusqu’au Campus d’Illkirch et le dépôt atelier.
Une variante allant d’Illkirch au PMC est également envisagée, mais écartée au profit d’une desserte de la Gare.
L’idée d’un Métro Léger est mise en parallèle avec un Métro-VAL : à coût équivalent, le Métro Léger permet de réaliser 2 fois plus de kilomètres de ligne, mais le Métro-VAL reste plus performant avec une meilleure vitesse commerciale et un moindre coût d’entretien. Il offrirait donc de meilleures perspectives à long terme.
Le projet VAL, est retenu en 1985 …
Malgré une forte opposition, la municipalité de Marcel Rudloff tranche : c’est le Metro VAL qui sera retenu le 29 novembre 1985 « comme n’apportant pas de nuisances à la circulation automobile et synonyme d’une image de marque résolument moderniste à la hauteur de la vocation européenne de Strasbourg ».
Tu le sens, le compromis pour garder un centre-ville tout-automobile ? Il faut dire que les commerces du centre-ville craignent une fuite de leur clientèle vers les centres commerciaux de périphérie.
Une première ligne en construction, pour relier Rotonde au Campus d’Illkirch
C’est dans cette partie que ça devient intéressant. Lorsque j’ai fait mes petites recherches, j’ai pu apprendre qu’en plus d’avoir été acté, le projet de Métro a même été mis en construction !
En 1988, les premiers travaux préliminaires sont engagés pour construire la ligne 1, devant relier Rotonde au Campus d’Illkirch. Rien de bien foufou, on n’en est pas à percer des tunnels, mais plutôt à préparer le terrain.
En parallèle, des panneaux informatifs se mettent à pousser le long du tracé. La ligne 1 du Métro-VAL devient donc une réalité dans le paysage strasbourgeois.
13 stations sont envisagées, dont 12 souterraines. Le centre-ville est desservi par 5 stations à 15-20m sous terre : Gare, Kléber, Ancienne Douane, Austerlitz et Étoile.
Voici le tracé de la ligne 1 en centre-ville. On y distingue largement les places Kléber, Gutenberg, Austerlitz et même la Cathédrale Notre-Dame.
Sur les plans de coupe des stations, on remarque des escaliers mécaniques et des ascenseurs, pour une accessibilité totale. Ici, l’exemple de la station « Ancienne Douane », située place des Tripiers avec Notre-Dame en toile de fond.
La station Kléber – située à Homme-de-Fer ndlr – est particulièrement intéressante, car elle est conçue dès l’origine en anticipant une salle d’échange permettant de rejoindre la future ligne 2.
Petit détail ou drôle de coïncidence : cette station est imaginée très ronde et courbée, ce qui fait beaucoup penser à la Rotonde installée aujourd’hui au même endroit pour l’arrêt de Tramway.
Des extensions, pour desservir Hautepierre, Hœnheim et Illkirch
Afin de poursuivre le développement du VAL, une 2ème phase et des extensions sont imaginées dès la conception du projet.
La 2ème phase devait voir le jour en 2000 en prolongeant la ligne 1, de Rotonde à Hautepierre. Une seconde ligne devait également voir le jour, de Kléber à l’Hôtel de Ville de Schilitigheim, en passant par le PMC et le Wacken.
Cette même ligne 2, devait ensuite être prolongée jusqu’à Hœnheim et une station devait s’ajouter au sud de la ligne 1, pour desservir le Parc d’Innovation.
De quoi envisager des développements pour le courant des années 2000 et ainsi augmenter petit à petit la taille du réseau.
Tout était en place pour démarrer les travaux, sauf que …
Sauf qu’en 1989, tout a changé et le projet de Métro est subitement abandonné. Tout était en place pour démarrer les travaux, mais c’est finalement le Tram qui verra le jour !
Une curieuse péripétie d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître … et dont je te parle dans ce second article.
Tu y trouveras également les similitudes entre le projet et Métro-VAL et le tramway actuel. Car oui, le projet de tramway s’inspire fortement du projet Métro-VAL. Sauf qu’il est quasi-intégralement en surface.
>>> Vers la seconde partie : comment le Tram a-t-il détrôné le Métro ?
Pour aller plus loin :
Pour poursuivre la lecture, voici quelques sources que j’ai pu consulter, pour constituer ces deux articles.
- Connaissance du Rail (octobre 1988).
- Plaquette de présentation du Métro-VAL (1986).
- Un Wiki sur le projet de Métro-VAL, tenu par un fervent défenseur de ce système.
- Le Schéma directeur des transports collectifs à Strasbourg, jusqu’en 2025 (février 2010).
- Le projet tram-train souterrain de Karlsruhe.